Easy-Scary

Christine Lambert et Joseph Macé-Scaron, deux rédacteurs de Marianne, ont publié une tribune critiquant l’opposition à la loi sur le mariage pour tous et intitulée « Ils ne sont pas homophobes, comme ils disent ». On se rend compte d’emblée que leur démonstration se fonde sur un parti-pris très contestable qui reviendrait à trouver la genèse de cette opposition dans l’homophobie (assumée ou non) de ceux qui en font partie.

Au rythme d’une anaphore désormais bien connue du grand public s’aligne une avalanche de pseudo-arguments. Contrairement aux papiers soi-disant scientifiques du Monde.fr, lesquels sont tellement embrouillés et jargonneux qu’on ne sait pas par quel bout les prendre, Lambert et Macé-Scaron nous mâchent déjà le travail en organisant leur harangue en quatorze petits paragraphes que voici (cliquez sur l’image) :

article lambert macé-scarron

Critique par le menu.

§1 : citoyens de seconde zone. Il y a, en si peu de mots, déjà beaucoup à dire. D’abord, cet argument est une belle invention puisqu’il n’est pas utilisé par les opposants type « La Manif pour tous ». Les débats ne portent pas sur la visibilité d’untel ou d’unetelle mais sur la définition de la famille, ce qui est assez différent. Mais admettons que les opposants s’agacent de la Gay Pride, par exemple, car ce serait sans doute mentir que d’affirmer le contraire. Cela revient-il à considérer les homosexuels comme des citoyens de seconde zone ? Beaucoup méprisent effectivement le sentiment communautariste qui ressort de ce type d’événement et de toute la « culture » qui l’entoure, et c’est le cas, entre autres, de Jean-Pier Delaume-Myard qui écrit dans le Nouvel Obs. Mais refuser le communautarisme ce n’est pas déclasser ceux qui y participent… c’est préférer une citoyenneté davantage fondée sur des principes universels, les droits de l’Homme, que sur la mise à égalité des particularismes.

§2 : privilège, rhétorique réactionnaire. C’est le cas quand on réforme la filiation vers un modèle entièrement souple, quand disparaît la présomption de paternité, et quand, symboliquement, le projet de loi commence par une grand toilettage de l’ensemble de notre corpus législatif pour remplacer « le père et la mère » par « les parents ». On ne s’attardera pas sur la mention spéciale du terme « réactionnaire », dont la définition s’est considérablement élargie depuis quelques années.

§3 : protection du mariage et divorce. Argument de type « s’il existe Y pire que X alors X est autorisé » qui procède non pas de la recherche du bien commun mais d’une vision strictement égalitariste. Par ailleurs, il va de soi que personne ne tient les homosexuels comme responsables de la multiplication des divorces…

§4 : rôle du mariage. Non, en effet, « le mariage n’a pas pour vocation d’offrir un manteau de respectabilité à des amours dissolues ». On ne comprend pas bien la mention de la « position du missionnaire ». La position des opposants est que le mariage a d’abord été organisé pour permettre la naissance et l’éducation des enfants, point, pour protéger le lieu le plus fragile de la société, à savoir la femme enceinte ou la mère de quelques heures. En revanche, l’argument de l’amour est, lui, bien souvent employé par les défenseurs du projet de loi qui y voient la justification du mariage et de la filiation…

§5 : hypocrisie et précarité sociale. Avec un temps de retard, les deux éditorialistes nous font du Duflot. Ainsi les opposants seraient des hypocrites qui se moquent des autres questions sociales… C’est un peu court. Beaucoup de personnes savent penser à plusieurs choses à la fois et ne sont pas des monomaniaques obsessionnels.

§6 : ce dont un enfant a besoin. Passons sur le labrador et le 4×4. On est presque étonné que ne soient pas mentionnés le serre-tête, la jupe plissée et le carré Hermès de Madame, qui constituent pourtant le canon des clichés sur la famille traditionnelle. Par ailleurs, on nous ressort l’argument de l’enfance maltraitée, auquel la réponse a déjà été donnée (cf. §3).

§7 : constitution psychologique de l’enfant. Il est évident que toutes les personnes se construisent à l’intérieur et en dehors de la cellule familiale. Cela n’empêche absolument pas le rôle central, précoce et hyper-important des parents, qui sont les premiers contacts humains, premières figures de l’autorité et de l’amour et ceux dont, généralement, l’attachement est solide au point d’être indéfectible. Nier que les parents occupent donc une place considérable et au final au moins égale à celle de la société à laquelle l’enfant est confrontée, c’est être surtout de mauvaise foi. Mais peut-être que dans l’esprit des auteurs, les liens de familles devraient être un peu relativisés…

§8 : inceste, polygamie, amalgames. On retrouve ici la lecture volontairement erronée de propos comme ceux du cardinal Philippe Barbarin qui ne consiste non pas à dire que l’homosexualité est comparable à l’inceste ou à la zoophilie, mais que si l’on considère que l’amour est une condition suffisante à une relation reconnue par la société alors, oui, on ne peut pas vraiment s’opposer à la reconnaissance d’autres types de relations comme l’inceste et la polygamie notamment. Sont en revanche exclus de cet argument la pédophilie (car le vice du consentement est évident du fait de la minorité d’un des « partenaires ») et la zoophilie (car le consentement et le contentement d’un chien s’obtient en lui tendant une gamelle de croquettes, et accessoirement un animal est juridiquement un bien meuble et non une personne).

§9 : l’adoption aujourd’hui établit un droit à l’enfant. Je n’en suis pas convaincu… Il est vrai que l’adoption par des mères seules pose un problème de cohérence mais l’ouverture de ce type d’adoption procédait non pas d’une mesure idéologique de type « droit à » mais du besoin d’accueillir les enfants orphelins de la guerre.

§10 : acheter des enfants sur Internet. Il est vrai que le bidouillage de la filiation, corollaire de l’ouverture de l’adoption, permet le « transfert » d’enfants beaucoup plus facilement. Des sociétés privées (notamment ukrainiennes) vous proposent un bébé pour quelques dizaines de milliers de dollars, comme l’a relevé Charles Vaugirard sur Tak.fr. Ainsi Mgr Vingt-Trois n’avait pas tout à fait tort… En revanche, il faut vraiment avoir un grain pour entendre « pédophilie » quand on parle d' »acheter un enfant sur Internet ».

§11 : l’égalité, point. Le grand mouvement d’égalisation des conditions a tendance à être irrésistible et intolérant, d’où la défiance envers « Boboland ». Le problème de cet argument néanmoins, c’est que pour beaucoup ce n’est pas une question d’égalité. Le droit ménage déjà l’idée qu’à conditions différentes, dispositions légales différentes. Mais la question qui se pose est de savoir si réellement il s’agit d’un « droit à » sans conditions préalables. A mon avis, non. Donc il faut discuter de ces conditions, sur le fondement de leur opportunité et de leur justice : sont-elles nécessaires au bien commun et sont-elles spoliatrices ?

§12 : choix de vie. Les homosexuels n’ont pas « le choix ». En revanche, adopter un enfant dans le cadre d’un couple homoparental, cela relève du choix… Mais j’avoue que cet argument porté par les opposants au mariage pour tous, assez rare au demeurant, n’est pas très solide.

§13 : extinction de la civilisation. S’il faut forcément citer les dingues et les croulants… « Un hétéro, une balle. Une famille, une rafale. » Voici ce qu’on pouvait lire dans la contre-manif à Lyon. Non, sérieusement, laissons les extrémistes dans leur coin. Serge Dassault et Civitas ne sont pas la référence en la matière. Pas plus qu’Act’Up Paris.

§14 : au fond, ils sont homophobes. Ben non, que voulez-vous… non. De nombreux opposants croient en l’égalité, au respect et même à l’indifférence.

La tribune de Joseph Macé-Scaron et Christine Lambert est easy, car fondée sur une pelleté de clichés, et scary, car elle témoigne de la mauvaise foi de ses auteurs. On a peine à croire, en effet, qu’ils aient des problèmes de lecture et de logique tels qu’ils croient vraiment que les opposants au mariage pour tous sont des illuminés haineux.

En revanche, ces remarques sont, en réalité, très répandues dans l’opinion, et montre l’incompréhension tenace qui empêche les deux « camps » de discuter correctement.

2 réflexions sur “Easy-Scary

  1. Merci de ce beau travail : je m’étais dit qu’il fallait le faire ..mais je n’avais pas trop de courage…
    La mauvaise foi est assez significative du « parti » homos et consorts..Je me souviens qu’on disait ça de mon frère qui a viré sa cuti au bout de 20 ans de mariage.
    Voici un lien sur le sujet pour voir et partager : http://www.dailymotion.com/lemariageenquestions

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