Dies irae

BMGuvUqCYAExs39Deuil. Indignation. Honte.

Deuil face à la mort, suite à une bagarre, d’un type de 18 ans dont je ne sais rien si ce n’est qu’il s’appelle Clément Méric, qu’il était militant d’extrême-gauche et qu’il fréquentait, comme moi il y a peu, les salles de cours de la rue Saint-Guillaume. L’adage est clair : de mortuis nil nisi bonum–et je ne compte pas m’y soustraire. Je m’arrêterai donc là : les démonstrations larmoyantes d’humanité ne sont pas dans mes habitudes et ceux qui veulent pleurer devraient pouvoir le faire en paix.

Indignation, ensuite, face à la déferlante d’indécence à laquelle nous avons eu droit dès le début de la matinée d’hier. Indécence qui a pris deux formes : une vaste mêlée où les uns et les autres n’ont pas hésité à régler leurs comptes au-dessus du cadavre encore chaud de la malheureuse victime du passage du Havre ; et une tentative jamais vue (?) de récupérer politiquement la mort d’une personne.

Le règlement de comptes a évidemment été lancé par une partie de la gauche, trop heureuse de se retrouver dans le schéma classique de la lutte entre antifas et nazillons. Ouvrant le bal : l’inénarrable Pierre Bergé, aussi bête qu’immonde, a mis en cause Frigide Barjot et la Manif pour Tous.

Interprétation retenue, entre autres, par la députée socialiste de l’Hérault Anne-Yvonne Le Dain…

…et par Joseph Macé-Scaron, qu’on ne présente plus.

Idem dans les médias. Sur France Info, hier midi, un chercheur en philosophie prétendait expliquer cet acte criminel par le comportement des hommes politiques (de droite) qui aurait « libéré la haine », en particulier depuis la vigoureuse contestation de la loi Taubira. Sur RTL, Marine Le Pen a été directement mise en cause et contrainte de se défendre. Enfin, la une de Libération, qui, ce matin, nous gratifie d’un nouvel amalgame.

Pourquoi ? Parce que les agresseurs sont des skinheads donc toute organisation politique classée à droite est comptable de leurs agissements…

Or s’il faut mettre en cause un « climat de violence », il faut arrêter cinq minutes le deux-poids-deux-mesures et reconnaître que, depuis plusieurs mois, (presque) tout le monde dépasse les bornes. Cela concerne les plus radicaux de l’opposition au mariage gay (Printemps Français etc.) mais aussi Frigide Barjot, avec son « Hollande veut du sang ! » (notons tout de même qu’elle a reconnu sa faute). Cela concerne aussi les plus fervents partisans de la réforme. N’oublions pas que parmi ceux qui, hier, se lamentaient, certains ricanaient ouvertement face à l’agression au couteau de Samuel Lafont, le très agaçant militant anti-mariage pour tous, et regrettaient amèrement que le travail n’ait été fait qu’à moitié. Ni que le sénateur socialiste Jean-Pierre Michel a apporté tout son soutien à son assistant parlementaire qui rêvait à haute voix que Valls fasse donner du canon sur les manifestants. Ni, encore, que Pierre Bergé retweetait sans vergogne un message se réjouissant par avance si une bombe venait à exploser sur le trajet de la Manif pour Tous… Et je ne parle pas de la façon dont le gouvernement a fait un usage abusif de la garde-à-vue contre certaines personnes que l’on ne saurait comparer à des nervis d’extrême-droite.

Mais pire que ce réglement de comptes qui, au fond, révèle plus l’anémie politique d’une grande partie de nos dirigeants qu’un discours vraiment sérieux, c’est la récupération politique de ce drame qui provoque l’indignation. À gauche, on a voulu rejouer l’antienne de la lepénisation des esprits et rouvrir la grande « quinzaine antifasciste » d’avril-mai 2002. Il y avait bien trop d’enthousiasme pour croire à la sincérité totale de cette communion soudaine face à un drame qui, avant d’être politique relève de la plus sinistre délinquance.

Et dans ce brouhaha, les larmes sincères du sénateur Pozzo di Borgo n’étouffent pas les cris de joie de ceux qui voient, soulagés, revenir leur ennemi de cœur. Hasta la victoria, siempre…

La honte, enfin.

La honte car il a bien fallu se rendre à l’évidence que devant les accusations et l’emballement médiatique, bien des gens de droite n’ont pas plus de jugeote et de décence que les pleureuses officielles de la gauche. Au lieu de rester calmes et de respecter le deuil, le réglement de compte a trouvé beaucoup de répondant dans les rangs conservateurs et un accueil frénétique un peu plus loin…

Le point culminant a été atteint par celle qui, pourtant, était injustement mise en cause : Frigide Barjot n’a rien trouvé de mieux à dire que le meurtre de Clément Méric est dû à la politique du gouvernement. Son intervention est une accumulation d’inepties affligeantes et, là encore, d’une insupportable récupération politique. Selon elle, l’affrontement skinheads/antifas d’hier ne symbolise rien de plus que la confrontation entre l’ « idéologie du genre » et la nébuleuse écolohumaine. L’analogie est piquante… Il faudrait donc retirer la loi Taubira pour faire baisser les extrêmes !

Je passe sur les tentatives d’une partie de la twittosphère de droite d’exhumer des tréfonds du web photos et vidéos montrant les violences des militants d’extrême-gauche (qui, effectivement, sont aussi pitoyables que les gudards). Pour prouver quoi ? Qu’au fond Clément Méric méritait de mourir ? Qu’on doit relativiser ce qui s’est passé mercredi compte tenu de ce qui se passe ailleurs ?

Par cette attitude, une partie de la droite s’est vautrée dans la fange dans laquelle barbotait « civiquement » une partie de la gauche.

Et cette journée n’aura été qu’un vulgaire Dies Irae quand elle aurait dû bruisser d’un doux Lacrymosa.

Une réflexion sur “Dies irae

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