Les catholiques, la droite et la gauche

ND du travail

Notre-Dame du Travail, Paris XIVe.

Depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois, la blogosphère catholique égrène ses bilans sur le mouvement de la Manif pour Tous contre le mariage pour tous.

Un fiasco si l’on s’en tient à l’objectif formel qui était le retrait du texte et si l’on considère les embardées ridicules (et humiliantes) des parties les plus radicales du mouvement d’opposition. Les optimistes corrigeront, à raison, en disant que la légalisation des PMA/GPA a tout de même été reportée sine die. Les romantiques se rappelleront, eux, les incroyables frissons procurés par les gigantesques manifs bleu-blanc-rose.

Sur le fond, on a bien vu que l’Église catholique, bien que volontairement en retrait par rapport au mouvement lui-même, a, en sous-main, largement suscité l’opposition à la loi Taubira, dès le 15 août 2012 avec la prière de Mgr Vingt-Trois. Les cloches de Saint-François-Xavier saluant les manifestants sur leur passage rappelaient clairement où se positionnait la hiérarchie ecclésiale dans toute cette histoire. Et ceux qui, comme moi, ont battu le pavé ont tous croisé de nombreux curés, les uns en K-way, les autres en soutane…

De là, tout de même, un constat assez douloureux : en France, l’Église catholique, c’est un truc de droite. Comme le dit Baroque et Fatigué, au détour de son propre bilan des événements récents,

dans la société française actuelle, pour des raisons historiques et sociologiques sur lesquelles je ne m’étendrai pas, il y a collusion entre conservatisme politique et social et catholicisme. Il me semble qu’il faut oser le dire, y compris au sein de l’Église, il me semble que les catholiques doivent accepter de l’entendre, et il me semble que cette collusion est un problème.

En effet. Une connaissance twitterine, découvrant un autre twitto se désignant comme « catho de gauche », plaisantait en annonçant qu’elle chaussait des « lunettes d’entomologiste » face à cette curieuse rencontre. Si les catholiques de gauche ne sont pas stricto sensu une espèce en voie de disparition, les sondages d’opinion donnent tout de même une idée du comportement politique conservateur des catholiques français. Et si « cette collusion est un problème » comme l’écrit Baroque, ce n’est pas pour rien : comment voulez-vous évangéliser et annoncer la Parole du Christ si vous êtes systématiquement identifiable à une faction politique dans un pays que les affrontements droite-gauche polarisent voire divisent depuis longtemps ?

On a longuement discuté de cet embourgeoisement et de cette droitisation de l’Église catholique dans la société française. « Mais pourquoi ?!? » glapissons-nous face à cet évident clivage politique, quelques mois après avoir glissé un bulletin Sarkozy dans l’urne, à la sortie de la messe dominicale. Suivent des questions aussi douloureuses que complexes, comme « Finalement, ne suis-je qu’un païen conservateur avec un vernis chrétien ?« 

Bon arbitre, Baroque trouve une sorte d’excuse à la tendance au repli qu’on constate chez bon nombre de catholiques :

Je m’empresse de dire que les chrétiens ont quelques excuses : l’antichristianisme bas-du-front de toute une partie de la classe politique, de toute une partie du corps social qui vomit à la vue d’un crucifix et trouve ridicule qu’on aille encore à la messe en 2013. Et si le lecteur moyen de Libération s’efforçait, rien qu’une fois, de trouver admirable que Benoît-Marie et Domitille élèvent quatre enfants dont un trisomique ?

Nous avons tous en mémoire le traitement dédaigneux que les élus socialistes ont réservé aux chefs religieux français lors des auditions préalables au projet de loi Taubira. Et dans nos têtes résonne encore le « rire Canal + » de ceux qui se moquent des croyants chrétiens, cibles idéales car inoffensives. Mais peut-être devrait-on sortir un instant d’une lecture qui se concentre sur l’émotivité (si j’ose dire) qui pousse certains catholiques à l’aigreur sous le coup de la colère ou de l’humiliation. Il faut aussi poser la question de la coloration politique du catholicisme dans l’autre sens, par son bout politique et non son bout religieux : et si la gauche, au sens large, avait abandonné les croyants en les repoussant dans le camp des conservateurs, voire des réactionnaires, et en leur refusant toute légitimité pour parler l’avenir et de changement ?

Une première réponse : non, car peut-on réellement manquer de foi dans la puissance rédemptrice de Notre Seigneur Jésus-Christ quand on est membre d’un parti qui a Harlem Désir pour premier secrétaire ?

Je plaisante.

En réalité, il y aurait fort à faire pour montrer que tout le programme actuel de la gauche française est radicalement incompatible avec une sensibilité chrétienne. Les trois lettres DSE viennent à l’esprit quand on parle de catholicisme et de gauche. La doctrine sociale de l’Église s’avance (à mon humble avis) assez peu dans ses prescriptions en matière de politique économique et sociale. Cependant, il me semble honnête de dire que ceux qui préconisent aujourd’hui une plus grande répartition des richesses, un renforcement ou une extension des services publics, l’ouverture de nos frontières à l’immigration venue des pays pauvres ou d’autres politiques « de gauche », répondent à des préoccupations qu’un chrétien ne renierait absolument pas. (Je dis ça alors que j’aurais tendance à voter, pour ma part, contre de telles propositions sans souffrir d’un dédoublement de personnalité.)

Alors pourquoi une telle désertion des rangs de la gauche par les chrétiens—ou des bancs des églises par les électeurs de gauche ? Difficile de répondre. Catholique « recommençant » et électeur de droite, je vais tenter une réponse assez spéculative.

Il y a dans la gauche une tendance plutôt modérée qui se penche avant tout sur les problèmes sociaux rencontrés depuis grosso modo deux siècles et qui défend une intervention forte de l’État pour les résoudre. Il y a une autre tendance qui, elle, prétend utiliser l’État pour changer les mentalités et favoriser l’émancipation des citoyens de tous les déterminismes. (Sauf erreur, ces formulations, sont fournies par Najat Vallaud-Belkacem (et al.) et Vincent Peillon respectivement.) Or il me semble que cette seconde tendance est intimement attachée à une sorte de conviction athée qui empêche de prendre la croyance des autres au sérieux et relègue celle-ci au mieux à un phénomène social en déclin, au pire à un dangereux obstacle à la dignité de l’homme. D’où une situation en apparence plus compliquée pour les chrétiens de gauche que pour les chrétiens de droite.

Pourtant ceci relève plus du symptôme que du phénomène de fond, car on aurait tort de limiter l’observation au seul champ politique. C’est une lapalissade, mais l’idée « progressiste », de gauche, selon laquelle la foi religieuse et la dignité de l’homme sont deux choses irréconciliables (la première n’étant que le déguisement d’un système d’oppression), est une idée qui habite la majorité du corps social (y compris, au demeurant, de loyaux électeurs de droite). Le corollaire de cette idée est que ceux qui veulent regarder vers l’avenir doivent tourner le dos aux anciennes superstitions et la foi en Jésus Christ apparaît donc, pour beaucoup, comme une option écartée de longue date.

Or cette idée est fausse. On peut, je crois, tirer de la foi en Jésus une approche subtile et équilibrée des problématiques de progrès vs. conservation. Cela commence avec la question du salut. Les évangiles et les épîtres de Saint Paul nous apprennent en effet à nous méfier d’une forme de pharisianisme qui consisterait à croire que les actes, plus que la foi, nous sauveront. En cela, le christianisme refuse toute sacralisation des normes sociales. Comme le souligne Jean-Jozaif™ sur son blog,

L’Église, c’est donc celle qui ne renonce jamais à vouloir faire progresser la conscience de l’individu. C’est celle qui avance vers toujours plus de lumière, qui ne croit pas que c’était mieux avant, puisqu’elle veut faire mieux qu’avant.

Pour autant, Jésus ne semble pas avoir voulu révolutionner la voie vers la sainteté, n’étant pas venu abolir mais accomplir la Loi (Mt 5, 17).

En descendant de la question du salut à celle de notre existence mondaine (sociale et politique), on peut tirer de ces enseignements une double attitude, à la fois une sorte d’avidité tournée vers l’avenir (Ségolène Royal parlait de « désirs d’avenir », c’était assez mièvre sur la forme, mais pas absurde) et une volonté, prudente, de modérer les évolutions du monde, liée à la conscience que nous avons de nos propres limites.

Plongés que nous sommes dans la société contemporaine, nous sommes ainsi abusés par le refrain selon lequel le progrès humain, incarné en particulier par un certain changement social, ne peut être qu’une victoire contre un prétendu obscurantisme chrétien. Cela pousse naturellement bien des fidèles à se méfier des idées de progrès et de changement puisque celles-ci semblent être les sœurs jumelles de l’athéisme et l’on peut comprendre pourquoi les citoyens de gauche, ou du moins ouverts à l’idée de progrès, ont de plus en plus de mal à se dire chrétiens et pourquoi relativement peu de chrétiens, catholiques en particulier, se réclament encore de la gauche telle que nous la connaissons aujourd’hui. Plus largement, c’est également pour cette raison que les chrétiens se sentent comme une minorité assiégée dans une société à laquelle ils se sentent liés par une longue histoire mais qu’ils ne comprennent plus et qui ne les comprend plus.

Ceci n’est naturellement qu’un bout de l’analyse de la déconnexion entre les chrétiens et leurs contemporains. Il va de soi, comme mentionné au début de cet article, que les chrétiens, catholiques notamment, ont parfois entretenu cette confusion en assimilant de vieilles traditions sociales à l’enseignement de Jésus Christ. Bref, ce qui précède n’invalide en rien, selon moi, le grief porté contre la « collusion » citée plus haut.

Aussi, à défaut d’être en mesure d’apporter une solution à ces problèmes complexes, voici deux erreurs que nous devrions éviter.

D’abord, nous ne devons pas nous penser comme une contre-culture, car la foi n’est pas une culture et parce que cela nous amènerait sur une pente glissante qui nous pousserait, potentiellement, à devenir des païens avec un vernis chrétien, plus préoccupés par la préservation de nos cathédrales et de nos traditions sociales que par l’Évangile. En outre, nous concentrerions notre regard sur le passé et oublierions que l’Évangile est une promesse tournée vers l’avenir.

Par ailleurs, nous ne devons pas nous tromper en ayant le regard rivé sur des sondages politiques et en pensant qu’il suffit d’intensifier le message social de l’Église dans l’espoir de séduire une partie de la société. Celle-ci semble convaincue, pour l’heure, que rien de bon ne peut sortir d’une foi chrétienne qui se place dans une très vieille tradition et qui correspond ipso facto à une posture rétrograde : c’est cette idée qu’il faut combattre, plutôt que ses déclinaisons politiques.

En conclusion, mon bilan des événements récents c’est que la confusion entre christianisme et conservatisme et donc la fausse opposition entre foi chrétienne et capacité à penser au futur est plus vivace que jamais. Elle l’est dans l’esprit de ceux qui ont soutenu le projet de loi Taubira. Elle l’est, aussi, chez ceux qui l’ont combattu. C’est franchement dommage.

7 réflexions sur “Les catholiques, la droite et la gauche

  1. Non, non et non, l’ouverture des frontières à l’immigration n’est PAS une revendication chrétienne. Il se peut effectivement qu’un clergé shooté à l’humanisme vague hérité de la période post-conciliaire et de mai 68 considère l’immigrationnisme comme le summum de la charité envers autrui. Il se peut même que le dernier pape que s’est choisie l’Eglise catholique tienne ce genre de discours. Cependant, l’Eglise a toujours eu pour ambition, lorsque qu’elle prend une position sur un sujet éthique, politique, social ou économique, que cette position aide l’homme à faire fonctionner ses institutions et les ordres qu’il établit. L’Eglise n’a donc que faire des systèmes qui ne marchent pas, car ils révèlent par là une incompatibilité avec la nature humaine.
    En réalité, l’Ancien Testament et l’Évangile sont particulièrement clairs sur le sujet: lorsque l’homme a voulu s’approcher de Dieu par des moyens terrestres et matériels, Dieu l’a dispersé sur la Terre et lui a fait parler des langues différentes : cela signifie que le propre de l’homme est la diversité des cultures, et que c’est dans l’obéissance à Dieu que se trouve l’universel. L’Eglise, par là, ne peut que soutenir, entériner et se fondre dans cet état de fait indépassable qu’est cette diversité voulue par Dieu. A cet égard, vouloir absolument que les peuples puissent inlassablement se pénétrer, se mêler, se dissoudre les uns dans les autres, me semble tout à fait déplacé.
    La parabole de l’enfant prodigue en est une confirmation: lorsque l’enfant, en révolte et par soif d’inconnu, décide de partir avec ce qu’il considère comme son dû, l’échec et la misère l’atteignent inéluctablement. Ce n’est que lorsqu’il revient chez lui que l’enfant prodigue découvre ce qui fera son bonheur: une terre natale toujours prête à lui donner plus et à le combler, car il a été fait pour elle et elle pour lui. Abandonner l’endroit où le Seigneur nous a fait naître pour chercher fortune ailleurs au lieu de travailler notre lieu de vie pour le rendre meilleur relève de l’égoïsme et du rejet de la volonté de Dieu.
    Il faut donc en premier lieu cesser de considérer ce refus de l’immigration comme le choix de l’efficacité qui laisse notre volonté de suivre l’Eglise insatisfaite. Le patriarche grec-orthodoxe d’Antioche, récemment en visite au Liban, appelait ses fidèles à ne pas quitter leur terre même sous les menaces qui pèsent sur eux. C’est là le discours fidèle à la Parole du Seigneur que l’Eglise doit tenir, dût-ce déplaire aux quelques histrions du droit-de-l’hommisme qui hantent encore les couloirs de la Conférence des Évêques de France.

    • Cher Affeninsel, merci pour votre commentaire. Je n’ai absolument pas parlé de « revendication chrétienne » ce qui, àmha, n’a pas beaucoup de sens. Mentionner la question de l’immigration me paraissait nécessaire compte tenu du fait que c’est un sujet qui a tendance à cliver beaucoup selon un axe droite/gauche. S’agissant de la position des chrétiens, ou de l’Église, à ce sujet, tout le sens de mon paragraphe sur la DSE etc. était de dire qu’en matière de politiques publiques, l’Église n’a pas la prétention de fournir un manuel détaillé. En somme, elle laisse aux fidèles le soin de participer, selon ce qui leur paraît juste, au débat public.
      S’agissant de la référence que vous faites à l’épisode de la tour de Babel et à la parabole du fils prodigue, j’ai tendance à me méfier d’une application trop concrète des Écritures. L’interprétation que vous en donnez est néanmoins séduisante. Mais, s’agissant de la parabole présente dans l’évangile de Luc, j’en avais pour ma part tiré une leçon sur le pardon, plus que sur la tentation que nous avons de quitter notre terre natale pour faire fortune.

      • Naturellement, hors de ce qui dépend directement de la doctrine, l’Eglise laisse la « liberté » aux croyants dans leurs idées. Il n’en reste pas moins que, si le Christ ne s’est pas improvisé de dicter la vie du chrétien dans ses moindres détails comme l’a fait Mahomet, Sa Vérité porte sur toute chose, et rien n’ a été fait de façon neutre par Lui. Il importe donc de chercher, humblement, à savoir ce que le Seigneur a fait et comment Il l’a fait pour que les hommes le gouvernent de manière juste. L’Eglise n’étant pas une corporation des Amis de Jésus de Nazareth, mais son « épouse mystique », sa mission est de guider les hommes vers une vie en tous points fidèle à la parole. S’il n’y a donc pas lieu, en raison de la place de la liberté dans la théologie chrétienne, de forcer les croyants à adhérer à une vue politique, il est cependant un discours, comme sur chaque point, sur chaque question, que tout chrétien est invité à écouter. Saint Grégoire de Nysse a d’ailleurs dit que les « pauvres en esprit » auxquels Jésus promet le Royaume des Cieux dans le sermon sur la montagne (Mt, 5) sont ceux qui soumettent humblement leur intelligence eux enseignement divins.
        C’est ici que je rejoins tout à fait ce que vous dites sur la place du chrétien en politique: il n’y a pas lieu d’enfermer le christianisme dans une case politique. C’est dans le bien de l’homme et les voies naturelles pour y parvenir que le chrétien fonde son positionnement politique. Si crier « Jé-sus président! » n’a pas de sens, il faut cependant chercher à suivre Sa parole en tous points, armé de l’intime conviction que Sa Loi, « inscrite dans le cœur de l’homme avant de l’être dans les tables remises à Moïse » (Jean Paul II) est ce qui nous guide le plus parfaitement pour établir un bonheur terrestre.

    • Je suis très surpris par ce genre de discours. Il me semble au contraire que le premier commandement de Dieu à Abraham c’est « quitte ton pays ». Et Jésus a lui-même envoyé ses disciples par toute la terre.

      Dire que quitter son pays est un péché me semble tout à fait déplacé et relève d’un contresens absolu.

  2. j’ai lu votre article (enfin). En fait je ne vois pas bien ceux que vous appelez les cathos de gauche et les cathos de droite. D’après ce que je constate, le catho conservateur de droite est aujourd’hui très à gauche dans ses orientations sociales et même politiques. (et je ne parle même pas d’économie).

  3. Pingback: Cessons d’être obnubilés par le sociétal ! | A la table des chrétiens de gauche

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